Vivre et mourir
(Image libre de droits)

Les quatre langues

La langue qu’en premier j’ai su – et sais encor –
Dès que je vins au monde un matin de décembre,
Aucun maître à la ronde, aucun dedans ma chambre
Ne me l’a enseignée : c’est la langue du corps.
Mon cœur est ce coucou qui bat d’un rythme clair,
Mon poumon ce soufflet qui se presse et s’étale,
Les tuyaux de mon cou s’emplissent d’eau et d’air,
Mes vaisseaux sont gonflés de la sève vitale.

La langue que l’on dit par ces mots : « J’ai compris !
Et je peux lire ici le langage des hommes,
Je sais l’écrire aussi, je sais quand, pourquoi, comme »,
Cette langue, pardi, c’est celle de l’esprit.
Elle est fille de bien ; l’école est son berceau,
Elle rend furieux les idiots, peut-être
Avec les bons à rien, les fumistes, les sots,
Langue des curieux avides de connaître.

La langue consacrée à mes douces langueurs
Se sert parfois de mots et parfois du silence,
Elle écarte les maux, éloigne la souffrance
Et sait tous les secrets : c’est la langue du cœur.
Je l’ai parlée naguère et je veux dès demain
Dire avec le sourire à une autre : « Je t’aime »,
Je saurai bien lui plaire ; elle tendra la main,
Ce que le cœur désire, il est bon qu’il le sème.

La langue essentielle enfin pour essayer
De comprendre pourquoi les hommes et les femmes
Naissent, meurent, prient, croient est la langue de l’âme
Car l’âme est éternelle et je veux le crier,
Le crier à l’envi. Si les religions
Sont le reflet grossier des croyances sincères,
L’âme toujours survit à nos ambitions,
Qui sans se soucier attend l’heure dernière.

Voilà, chaque langage à son tour se convie,
Aussi chacun échange et se mêle de même
Aux trois autres, mélange harmonieux, suprême
Combinaison, message à quatre voix… la vie.
Ainsi jusqu’au trépas s’écoulent les années,
Les quatre voix de l’Homme accompagnent sa route,
C’est « Être ou n’être pas ? » ou « Pourquoi suis-je né ? »
Mais nul ne sait, personne et l’on meurt dans le doute…

Annonay, vendredi 6 novembre 2015

© Le Lion 07

Note : comme je l’avais fait en débutant ce blog, je publie ici des poésies après leur parution sur le site des Cahiers (parfois longtemps après). Que le lecteur ne soit donc pas étonné du décalage entre la date d’écriture et celle de publication.

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